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PAR | CAROLINE HAMELLE

Mode et Célébrités : Prometteuse Alliance

En mettant Pharrell Williams à la tête de la direction artistique de Louis Vuitton Homme, LVMH franchit une étape supplémentaire dans le phénomène de collaboration entre mode et célébrités. Phénomène. 

« Joy ! Joy ! Joy ! » scande le chœur de gospel Voices of Fire à mesure que les silhouettes du premier défilé de Pharrell Williams pour Louis Vuitton Homme arpentent le Pont Neuf. Ce soir de juin, sur le pont le plus ancien de Paris, non loin des studios de création de la maison française, la foule retient son souffle. Parmi les 1750 invités présents un parterre de célébrités, dont Beyoncé et son époux Jay-Z, Rihanna et son compagnon Asap Rocky, Zendaya, Kim Kardashian ou encore LeBron James, pour ne citer qu’eux. Tous observent le résultat de l’association entre le chanteur et producteur, et une des plus grosses maisons de mode actuelles. Et de la joie, il y en a. Car, alors que de nombreux observateurs attendaient ce mariage des genres au tournant, le résultat est à la hauteur. Les 71 looks proposés portent la patte du nouveau « chef d’orchestre » avec des références aux codes street-wear et d’autres dans un esprit plus tailoring. Le « Damouflage », mélange du damier de Louis Vuitton, et de l’imprimé camouflage, est partout sur un costume, veste-pantalon, sur un blouson en cuir, une parka, un béret, sur des accessoires, des sacs, des malles, des bottes… Pharrell Williams martèle un motif, déjà nouveau hit. Une collection que le nouveau directeur artistique de la maison, après le regretté Virgil Abloh, souhaite tournée vers l’amour, ou LoVe, en référence à Louis Vuitton, et au crédo de l’état de Virginia dont il est originaire, Virginia is for Lovers (la Virginie est pour les amoureux ndlr). On ne sait pas si la mode est soluble dans l’amour, ce qu’on sait en revanche c’est que cette collection a tous les codes pour cartonner. Notamment auprès de la fameuse « Gen Z », cette génération de jeunes consommateurs zappeurs, hyper informés et bourrés de références. 

© Louis Vuitton
© Louis Vuitton

On se dit alors que Pietro Beccari, PDG de Louis Vuitton depuis le début de l’année (il était avant chez Dior ndlr), a eu le nez creux de prendre ce risque. Pourtant, si c’est bien la première fois qu’une maison de mode va aussi loin dans son partenariat avec une célébrité – Pharrell Williams est directeur artistique de Louis Vuitton, ce n’est pas une collaboration ou un coup d’essai – il est devenu monnaie courant dans cette industrie d’associer un nom de mode avec celui d’une personnalité en vue. Cet été, la chanteuse Dua Lipa, également à l’affiche du film Barbie, a sorti une collection avec Versace, baptisée « La Vacanza ». Il s’agit d’une collection cocréée avec Donatella Versace qui réinterprète les classiques de la maison, l’imprimé papillon, les teintes pastels et autres détails métalliques, issus des années 90. Autre annonce de partenariat mode-celébrité à suivre, celui entre la maison Lanvin et Future. Le rappeur a été invité à écrire le premier chapitre du nouveau projet de la griffe française, après le départ de Bruno Sialelli, son précédent directeur artistique. L’artiste créera une collection capsule de vêtements et accessoires pour hommes et femmes, en étroite collaboration avec le studio de la maison. Ce sera le premier opus du « Lanvin Lab » qui sera présenté à la fin de cette année. Transformer sa marque en une sorte d’espace créatif temporaire pour des artistes de tous horizons, voilà ce que fait la griffe italienne Moncler depuis cinq ans avec Genius. Ce programme accueille régulièrement des célébrités dont Alicia Keys ou encore Pharrell Williams dans une sorte de contrat à durée limitée : les artistes expérimentent, la marque profite de cette expérimentation, mais ne prend pas de risque au-delà d’une collection. Au final, s’associer avec une célébrité pour partager avec elle le devant de la scène devient de plus en plus commun pour l’industrie de la mode et du luxe.

© Louis Vuitton

Le phénomène s’est même intensifié. Comment en est-on arrivé là ? « Le principe des celebrities brand, des stars qui deviennent des marques, n’est pas nouveau. Après tout c’est bien ce que fait Kim Kardashian avec Skims, sa marque de sous-vêtements. Mais ce concept qui consiste pour une star à devenir directeur ou directrice artistique à la tête d’une maison de mode est différent » explique Benjamin Simmenauer, professeur à l’IFM. C’est également différent de la collaboration, de passer une collection au prisme d’une célébrité, comme lorsque Dua Lipa sélectionne ses pièces préférées pour Versace. « Dans ce cas de figure, la chanteuse agit comme une sorte de filtre ». La direction artistique, un des premiers à s’y être essayé c’est Kanyé West avec sa ligne spéciale avec Adidas, Adidas + et ses baskets Yeezy. Mais le premier vrai carton en la matière c’est Rihanna. « Elle n’était pas juste un argument de vente » souligne Benjamin Simmenauer à propos de Fenty, la marque de prêt-à-porter qu’elle a sorti en collaboration avec LVMH, arrêtée il y a deux ans pour se recentrer uniquement sur la beauté. Pour explique ce coup d’épée dans l’eau, Benjamin Simmenauer avance des problèmes de rythmes entre la chanteuse et les exigences de production d’une marque de prêt-à-porter, et des erreurs de positionnement. Une qui tire son épingle du jeu, mais qui a travaillé dur pour en arriver là, c’est Victoria Beckham. Depuis quinze ans, l’ex-Spice Girls a gagné ses galons de créatrice de mode en se pliant consciencieusement aux exigences de production, d’image et de rythme de cette industrie. « Son histoire est différente de ce qui se passe aujourd’hui : elle a galéré pour y arriver, et il y a un vrai engagement. Une sincérité qu’on ne peut pas remettre en cause ».

© Victoria Beckham
© Fenty Beauty

Le phénomène auquel on assiste actuellement est tout autre : « L’idée actuelle consiste à dire que la créativité ne dépend pas de l’objet, on peut être créatif en tout. C’est ce qui se passe, mais c’est discutable » admet Benjamin Simmenauer. En effet, un couturier au sens classique du terme pourrait tout à fait contester cette idée d’une créativité sans barrière ou limite. Toutefois, aujourd’hui mettre un Pharrell à la tête d’une maison de mode est possible pour plusieurs raisons. Tout d’abord la première des explications c’est que la création de mode s’affranchit de plus en plus de la technique. « Être directeur artistique, c’est différent d’être un designer. La fonction principale du directeur artistique c’est sa vision » soutient Benjamin Simmenauer. Soutenue par un studio de création composé de designers compétents, cette mise en œuvre d’une vision est possible et, dès lors, il est possible d’avoir un directeur artistique qui n’a pas de compétence technique. Ainsi c’est le cas de Pharrell Williams qui n’a aucune formation mode mais a déjà montré à maintes reprises sa capacité de « chef d’orchestre ». Autre explication, la plus évidente, l’intérêt pour une marque de mode de s’attacher une personnalité puissante. « Pharrell est célèbre parce que c’est un créateur visionnaire ». Une raison capitale pour une maison de mode qui a envie de booster sa croissance. Gageons que Pharrell y arrive largement avec ses quinze millions d’abonnés sur instagram. Les célébrités sont donc de bons candidats pour faire de la direction artistique. « Leur rôle c’est de catalyser un récit, un but. Elles doivent pouvoir donner du sens, mais en général seule une maison avec des moyens et une stratégie de marque dominante peut s’offrir ce genre d’investissement » ajoute notre expert. On va en général pouvoir trouver ce genre de personnalités fédératrices dans le monde du cinéma et de la musique. Ce sont également des disciplines artistiques où on a l’habitude de travailler en équipe : « il y a cette idée de travailler en studio ou d’animer une communauté ». La prochaine étape sera peut-être de choisir une personnalité du cinéma, quelqu’un de l’image pour travailler dans la mode : « Je ne serai pas étonné d’observer demain une passerelle avec un réalisateur » conclue Benjamin Simmenauer. 

 PAR | CAROLINE HAMELLE

PAR | AVNER PONCE