PROPOS RECUEILLIS PAR | AURIANE LEFFRAY
Baignant dans le cinéma depuis plus de 11 ans et s’étant fait une place parmi les grands dans Braqueurs, Kahina Carina est aujourd’hui l’une des stars de la série « Jusqu’ici tout va bien », réalisée par Nawell Madani. Depuis sa sortie le 7 avril 2023 et le succès qui s’en est suivi, l’actrice de 36 ans voit sa carrière prendre un tout autre tournant. Elle a pris le temps de nous raconter l’après Netflix et les coulisses de la série.
Kahina Carina, on vous retrouve à l’affiche de la série « Jusqu’ici tout va bien » de Nawell Madani sur Netflix. Racontez-nous votre rencontre avec la réalisatrice.
C’est une rencontre très classique. J’ai passé un premier casting avec Nawell et son équipe. Et ensuite elle a voulu me revoir en callback où on est parties en impro pendant une heure. C’est ici qu’on s’est rencontrées.
Pourquoi avoir passé ce casting pour cette série, ce rôle ? Qu’est-ce qui vous a attiré ?
Au-delà du rôle, le projet je le trouvais super et bien écrit. Surtout le sujet principal : la famille. C’est-à-dire, ce que l’on est capable de faire, qu’on soit prêt à se dépasser, à dépasser nos propres valeurs. C’est un sujet qui me touche vraiment particulièrement.
Vous êtes comédienne depuis votre plus jeune âge. Vous aviez déjà été à l’affiche d’un film. Notamment Braqueurs, de Julien Leclercq sortie en 2015. Vous jouiez la sœur de Sami Bouajila. Cette fois-ci, comment s’est passé le tournage ?
Le tournage était hyper intense, assez long, car mon rôle était important. J’ai tourné dans beaucoup de séquences donc il n’y avait pas beaucoup de temps pour travailler et se reposer, pour pouvoir avoir les ressources et l’énergie. Mais ça m’a appris plein de choses.
Pendant le tournage, j'ai été un peu bousculée ...
Qu’est-ce que vous retenez de ce tournage, qu’avez-vous appris justement ?
J’ai ce côté scolaire, qui travaille beaucoup en amont, où je vais me sécuriser pour pouvoir laisser place à la créativité pendant que je tourne. Pendant le tournage, j’ai été un peu bousculée par l’improvisation et les changements de dernières minutes. On doit s’adapter à l’univers d’un réalisateur. Nawell, c’est quelqu’un qui a beaucoup le sens du rythme. Mais ça, c’est formateur. Ça m’a appris à travailler dans l’urgence, à me déconnecter. Ça nous permet de se dépasser, se rendre compte qu’on peut le faire. C’est à la fois passionnant et très troublant sur le moment.
Dans le casting de la série, on retrouve à vos côtés Carima Amarouche, Paola Locatelli, Djebril Zonga… Comment était l’ambiance ?
C’était super, il y avait une très bonne ambiance. On s’est tous plutôt très bien entendu. Je pense qu’on a tous des personnalités très différentes mais du coup on avait à peu près tous le même humour. C’est ça qui nous a énormément rassemblés. Et puis surtout on avait tous envie de bien faire et d’être au service du projet. On était tous guidés par la même énergie, la même envie et le même désir.
Nawell, c'est Wonder Woman !
Dans cette série, vous avez le rôle d’une mère dépassée par les événements. Comment avez-vous fait pour vous approprier autant bien ce rôle ? Alors que vous n’êtes pas maman.
Ce qui me sauve un peu, c’est que je suis très sensible et très empathique donc j’arrive à me projeter sur des événements même quand je ne les ai pas vécus. Ensuite, le travail le plus difficile, c’était d’être crédible en tant que mère d’adolescents et en tant que personnage plus âgé que moi. C’était mon inquiétude première. J’ai beaucoup travaillé sur mon autorité, car c’est un personnage dépassé et maladroit. Il fallait que je trouve la clé.
En revanche, j’ai trouvé une fluidité avec les deux actrices qui faisaient mes filles, donc Paola Locatelli et Mayann. Ça c’est très bien passé. Paola est hyper disponible, brillante, instinctive, facile à vivre. Donc ça me permettait de prendre ma place au sein des séquences.
Y a-t-il eu une préparation particulière pour ce rôle ?
À chaque fois que je travaille un rôle, je me fais toujours coacher avant. Parce que l’erreur c’est de se dire « je joue avec ma nature, ce personnage est très proche de moi donc ça ira » ou alors « le personnage est très loin de moi donc je n’ai qu’un pas à faire finalement, vers mon opposé ». Mais c’est un piège.
Il fallait que je travaille sur ce que j’ai en commun avec ce personnage, ce que j’aime chez lui, ne pas le juger quand il fait des choses que moi, je ne ferais pas. Donc j’ai toujours un coaching avant, pour me rassurer. Pour avoir le sentiment d’arriver et d’avoir fait au moins le maximum et après pouvoir me laisser aller à la direction du réalisateur ou de la réalisatrice.
Ce rôle, était-il compliqué à jouer ?
Ce n’était ni compliqué, ni facile. À partir du moment où je mettais le costume, je rentrais dans le rôle instantanément. Le costume chez moi, c’est hyper important. Il y a une sorte de passage lorsque je le mets. Tu ne te comportes pas pareil. Lorsque tu rentres dans ce costume, tu commences par le corps et ensuite, tout suit. À ce moment-là, ton inconscient a compris ton chemin vers ce personnage et puis ça devient plus évident.
Y a -t-il eu des moments plus compliqués que d’autres ?
Sans vouloir spoiler, il y a une scène à la fin, où je vais récupérer ma fille quand je suis face au personnage de Djebril Zonga. Cette scène est assez rapide, mais elle a été très compliquée parce que quand je prends mon arme et que je la pointe sur lui, je pète un câble et je pleure. Ce n’est pas difficile, mais il fallait que je sois au rendez-vous, immédiatement, pour la peur de la perte d’un enfant. C’est l’une des séquences où j’ai mis le plus de temps, avec deux trois prises un peu laborieuses. Et puis d’un coup, j’ai compris le truc ça a switché. Et Nawell est venue me voir après en me disant « Ok, tu m’as fait flipper mais c’était très bien » (rires).
J'ai le sentiment personnel que ça dérange de voir des femmes avoir autant de pouvoir, de travailler et se dépasser autant.
La série a cartonné sur Netflix, au point d’avoir atteint la première place en France durant plusieurs jours. Qu’est-ce que cette série a changé dans votre carrière ?
La série vient de sortir, donc pour le moment, ce qui a changé, c’est que je reçois beaucoup d’appels, beaucoup de messages. Je suis une grande bosseuse et c’est vrai que j’avais oublié qu’il y a ce côté hyper agréable où on nous complimente, on nous félicite pour notre travail. Ce n’est pas quelque chose que je cherche. Ce sont beaucoup d’années à ne pas lâcher l’affaire, à avoir des hauts et des bas, à se construire, se reconstruire, à essayer d’avancer etc. Aujourd’hui, on reconnaît mon travail et ça me motive davantage.
Est-ce qu’on vous a proposé d’autres opportunités ?
Je suis en lecture en ce moment. Il n’y a pas de projets signés.
Y a -t-il eu un avant et après Netflix ?
Oui clairement. C’est une série qui est sur une plateforme internationale. C’est vu par des personnes à l’autre bout du monde. J’ai reçu des lettres de Corée par exemple. Demain, je peux avoir des opportunités n’importe où. Même Braqueurs, ça a cartonné, mais ce n’était pas pareil.
Aujourd’hui, quelles sont vos relations avec Nawell ?
Très professionnelles. C’est une relation simple. Nawell a une énorme capacité de travail. Je n’ai jamais vu ça de ma vie. C’est hallucinant. C’est Wonder Woman. C’est quelqu’un qui prend énormément de risques, qui ose tout le temps. C’est inspirant et admirable.
Avez-vous parlé d’autres projets avec elle ?
Non, pas pour le moment. Peut-être sur une saison deux, si ça se confirme.
Y a-t-il une saison 2 ?
Je ne sais pas (rires) !
Certains spectateurs ont jugé que le projet tombait parfois dans le cliché et qu’il tendait à stigmatiser la communauté maghrébine. Vous pensez quoi des nombreuses critiques qui ont surgi à la sortie de la série ?
Moi j’ai commencé à avoir des critiques avant que la série sorte. Je pense qu’il y a une crainte par rapport au projet. J’ai le sentiment personnel que ça dérange de voir des femmes avoir autant de pouvoir, de travailler et se dépasser autant. J’ai lu sur Twitter : « Lorsque les rappeurs montrent une image des femmes qui est catastrophique, il n’y a aucun problème. Mais lorsque ce sont des femmes qui montrent des femmes fortes, voilées, libres, qui ont été imposées par personne, là ça pose un problème. » Et je pense que tout ce qui dérange finit par inspirer.
Nawel racontait dans une interview qu’à propos de votre personnage, une femme est venue lui raconter : « Le fait que cette femme ait choisi sa foi, alors qu’on véhicule tellement l’idée que le voile est imposé aux femmes, qu’elle soit libre et qu’elle se batte pour sa fille… Tu m’as gagné parce que je me suis reconnue ». Qu’est-ce que vous en pensez-vous ? Est-ce que ce rôle peut-être une fierté pour vous, pour la reconnaissance des droits des femmes et de l’image de la femme ?
Totalement. J’ai reçu beaucoup de messages de femmes qui m’ont dit « je suis tellement contente que l’on peut voir enfin une réalité. Que les femmes voilées sont des femmes comme tout le monde. Elles sont modernes, elles ont des copines, elles ont une vie ».
Pour l’anecdote, une fois, j’étais dans le métro et une femme voilée qui était au bout de la tram, me regarde hyper intensément. Je ne percute pas. Et d’un coup, elle me regarde en faisant un petit signe avec un pouce, en mode « Merci ». Et ça m’a énormément ému.
Je pense que oui ça peut faire bouger les choses, c’est évident. Très souvent, on m’a dit le fait de voir une femme voilée qui n’a pas l’accent d’une racaille, qui sait très bien parler, qui a fait des études, qui a un métier, qui se démerde, qui a une vie normale, ça normalise quelque chose qui « fait peur ».